jeudi 16 septembre 2010

Dior est-il raciste ? Retour sur une polémique ridicule

Il suffit d’une petite étincelle pour que le feu de la polémique s’embrase, comme l’a révélé la récente controverse autour de la campagne de Dior « Shanghai Dreamers ». Je tiens ici à rassurer le lecteur encore ignorant de cette polémique : l’étincelle n’a donné lieu qu’à un feu de camp, initié par une journaliste d’origine chinoise du Guardian et entretenu par une blogueuse.

Mais que reproche-t-on exactement à cette campagne ? L’auteur de cette exposition artistique, le photographe chinois Quentin Shih, est accusé de « racisme » et par ricochet la maison de couture Dior, organisatrice de l’événement.

Outre le fait que cette accusation apparaît insolite, Quentin Shih étant lui-même chinois, cette attaque est le reflet d’une analyse grossière de l’œuvre du photographe et révèle une lecture à l’aune de valeurs occidentales.

Comme il a eu l’occasion de l’évoquer sur son site personnel, Quentin Shih a tenté de représenter la cohésion et l’unité du peuple chinois des années 60 et 80. Il confesse par ailleurs que la réalité objective est moins glorieuse que sa représentation photographique. Comment dès lors expliquer ce hiatus d’interprétation ? Certes, Quentin Shih n’est pas le « propriétaire » du sens de son œuvre mais une analyse attentive des différentes photographies permettent aisément de réfuter ces accusations à l’emporte-pièce.

A la simple vue de ces photographies, quel élément permet de justifier une valorisation de l’occident et de l’individualisme ? Certes, le modèle est entièrement vêtu de Dior, et émerge de la masse, notamment par sa taille. Mais les traits sont-ils pour autant plus détendus, la posture plus épanouie ? Sans oublier que sur plusieurs photos les Chinois représentés souris et ne paraissent pas particulièrement brimés.

Le principal sujet de friction concerne les visages des modèles chinois. Identiques, ils seraient emblématiques d’un racisme occidental (tous les Chinois se ressemblent). Encore une critique hâtive : qui peut sérieusement penser que Quentin Shih voit ses compatriotes comme s’il se regardait dans un miroir ? Il est bien entendu conscient des spécificités de chacun de ses compatriotes. Ce qu’il met en avant à travers cette uniformité vestimentaire et physique, c’est l’aspect fusionnel du peuple chinois, un élément source de vitalité dans la culture de ce pays.

L’individualisme n’est pas considéré dans toutes les cultures comme une doctrine supérieure. Or porter un tel jugement sur l’œuvre, c’est postuler la supériorité de l’individualisme sur le modèle holiste. Au pire peut-on y voire une critique d’un modèle sociétal. Mais aucune considération « raciste » ne peut en toute légitimité être tirée de cette œuvre.

Si cette accusation a connu une telle fortune sur le Net, c’est que l’organisateur de cette campagne n’est autre que Dior, une société occidentale. Toutefois, Quentin Shih a bien précisé qu’aucun Directeur artistique de la maison de couture n’était intervenu dans son travail et qu’il avait eu « carte blanche ». Cet événement n’est pas une campagne publicitaire, mais une exposition artistique. A travers son centre privé d’art contemporain de Ullens à Pékin, Dior promeut les jeunes talents artistiques chinois depuis 2007. D’ailleurs Quentin Shih avait déjà collaboré à l’exposition collective (mais peut être que ce mot effraie désormais les internautes) « The Stranger in The Glass Box ».

Une polémique sans fondement comme il en surgit des centaines par jour sur le Net.

A ce sujet, je recommande d’ailleurs l’article de Géraldine Dormoy, critique d’Arts pour l’Express :

L’exposition Murakami ou quand la Japan expo s’invite à Versailles

Autre artiste et autre polémique, c’est cette année au tour de l’artiste japonais Takashi Murakami de s’inviter au château du roi Soleil et de provoquer le courroux des gardiens du temple versaillais.
Décidément, Versailles ne semble pas le lieu le plus accueillant pour l’art moderne tant les expositions qui s’y sont déroulées ces dernières années (celles de Jeff Koons et de Xavier Veilhan) ont suscité la polémique.

Que reproche-t-on cette fois-ci à l’artiste japonais, qui figure au pinacle des 5 artistes les plus chers du monde ?

Il suffit de lire quelques articles à ce sujet pour comprendre les motifs de l’indignation que soulève cette exposition : le manga investit Versailles. Une juxtaposition « contre-nature » entre une culture jugée « populaire » (et qui fait encore l’objet de dénigrements constants) et une culture « légitime », « académique ».

Pourtant, il suffit de lire l’interview de l’artiste parue il y’a quelques mois pour appréhender la cohérence de son projet artistique. On apprend ainsi (ce qui d‘ailleurs pourrait choquer les âmes culturelles les plus sensibles) que Murakami a découvert l’existence de Versailles, comme beaucoup de Japonais visiblement, à travers un manga, la Rose de Versailles, paru dans les années 1970 et plus connu en France sous le nom de Lady Oscar. Bref, un manga Shojo, sentimental et larmoyant, narrant l’amour impossible entre deux individus de classes différentes (et oui une noble ne se marrie pas avec un roturier du Tiers-Etat). On comprend ainsi que l’artiste a projeté de recréer l’image fantasmée de Versailles et de proposer un « Versailles vu du Soleil Levant ».

L’intention est louable et intéressante mais suffit-elle à convaincre les visiteurs ?
La problématique qui semble la plus importante, et qui a notamment été abordée par Sébastien Le Fol, critique d’arts pour Le Figaro, est celle de la cohabitation, de la rencontre entre deux univers. Les œuvres de Murakami se marient-elles habilement avec ce haut-lieu de la culture française, ou au contraire, la cohabitation est-elle celle d’un couple qui se boude ? Que penser de ce Versailles onirique ?

Il semble un peu excessif de considérer que les œuvres de Murakami n’apportent rien au lieu. L’exposition s’apparente à un « détournement » de symboles qui participe à sa désacralisation. La statue « Kakai et Kiki » met en scène un garde fantaisiste et improbable, dont la physionomie exubérante réjouit le visiteur. C’est là le point fort de cette exposition : un effet comique, une ironie qui égaye une visite et un parcours balisés. L’exposition est certes « sympathique » mais le rêve évanescent Murakami ne laissera sûrement que quelques sensations colorées dans la mémoire des visiteurs.