mardi 16 novembre 2010

René Gruau and the line of Beauty, quand la publicité devient art.

Avec l’exposition de plus d’une centaine des œuvres de l’illustrateur René Gruau à la Sumerset House de Londres, Dior se trouve à nouveau au cœur d’un étrange mélange entre l’art et le marketing. Mais loin des polémiques qui s’étaient déclenchées autour du travail de Quentin Shih, Shangai Dreamers, les dessins, affiches et croquis de René Gruau font renaître l’imaginaire de la marque. 

Cette exposition est l’occasion de redécouvrir l’élégance et la modernité de Gruau. Des lignes épurées, des silhouettes fluides pour célébrer les femmes qui donnent l’impression de plonger directement au cœur de l’univers Dior, fait d’éclat et de sensualité. Plus qu’une exposition c’est un véritable voyage dans le temps et dans le luxe que nous propose cette exposition. 

Composée de cinq thèmes visuels audacieux et fantaisistes, elle laisse apercevoir le jaillissement créatif et artistique qui peut naître de la rencontre de deux visionnaires, de deux amis, René Gruau et Christian Dior. De l’emblématique femme-fleur - sensuelle et ornée de fleurs-  à l’homme Dior – viril  et révolutionnaire –  en passant par l’amitié solide de ces deux hommes, cette exposition est une invitation à la découverte d’un univers esthétique qui a su garder, encore aujourd’hui, toute sa fraîcheur.

J’entends déjà les plus puristes grommeler et se plaindre que les affiches publicitaires ne sont pas de l’art mais du marketing, aussi bien fait soit-il. Alors, certes, René Gruau aura incontestablement marqué la publicité des années 30 et 40 et eu une influence considérable sur les générations d’illustrateurs derrière lui mais son style est unique. Réaliser les affiches de Dior pour lui n’était pas se compromettre dans la publicité de réclame mais bien se mettre au service d’une certaine vision du monde et de la femme et exprimer sa propre subjectivité et sa perception de la féminité. 


Depuis le 10 novembre au Sumerset House, Londres.


lundi 18 octobre 2010

Larry Clark : devrait-on censurer les censeurs ?

« Une attaque des adultes contre les adolescents ». C’est en ces termes que Larry Clark réagit à la décision de la mairie de Paris d’interdire l’entrée à sa rétrospective aux mineurs. Lancée depuis le 8 octobre au Musée d’Art Moderne de Paris, l’exposition de 200 clichés présente les dérives de l’adolescence dans les années 70. Au programme certes, drogue, sexe, violence et déchéance. 

La municipalité impose cette limite d'âge, considérant en effet que certains clichés du photographe américain tombent sous le coup de la loi qui interdit de diffuser un message violent ou pornographique susceptible d'être vu par un mineur. 

La décision de la mairie de Paris n’est-elle pas excessive ? C’est ce que laisse en tout cas entendre les Verts. On peut se demander si toute cette polémique ne pouvait pas être évitée par une simple mise en garde explicite à l’entrée du musée. Il semble que Larry Clark soit l’une des nombreuses victimes de notre société de plus en plus pudibonde et aseptisée. 

Car finalement, son travail ne se montre pas beaucoup plus impudique que certaines émissions de télé-réalité diffusées en pleine journée sur nos écrans. La plupart des visiteurs depuis vendredi trouve l’exposition touchante plus que choquante, parce que la sincérité et l’authenticité sont visibles derrière chacun des clichés. Finalement Larry Clark montre seulement la vie, la vérité des années 1970. 

Au-delà de la question de la censure, le débat semble en réalité se situer sur la façon dont chacun définit et apprécie le travail d’un artiste. L’art est-il celui qui fait rêver ou qui fait réfléchir ? Car c’est finalement bien cela qu’on reproche aux clichés de Larry Clark : nous mettre face à des images dérangeantes, parfois choquantes d’un phénomène social certes minime mais bien réel. Or le plaisir et le confort du spectateur – argument qui ressort souvent dans cette polémique – devient finalement dérangeant quant il s’agit de limiter notre propre sens critique et notre esprit d’analyse. 

Or peut-on juger que les adolescents n’ont pas cette capacité à prendre du recul entre les images qui leur sont présentés et leur propre construction ? Larry Clark affirme d’ailleurs souvent qu’il réalise ses photos pour lui-même et pour les adolescents, les clichés faisant ressortir une multitude de problématiques auxquelles sont justement confrontés les mineurs. Se mesurer à ces photos serait justement un moyen pour eux de grandir, de réfléchir et de se questionner sur leurs propres limites. 

Alors certes, la censure dont cette exposition semble être la première des victimes est disproportionnée et critiquable. Mais les esprits les plus cyniques d’entre nous la verront surtout comme un formidable levier de publicité pour Larry Clark, comme en témoigne la Une de Libération affichant l’un des clichés controversés. Mais l’exposition en valait-elle vraiment la polémique ?

jeudi 16 septembre 2010

Dior est-il raciste ? Retour sur une polémique ridicule

Il suffit d’une petite étincelle pour que le feu de la polémique s’embrase, comme l’a révélé la récente controverse autour de la campagne de Dior « Shanghai Dreamers ». Je tiens ici à rassurer le lecteur encore ignorant de cette polémique : l’étincelle n’a donné lieu qu’à un feu de camp, initié par une journaliste d’origine chinoise du Guardian et entretenu par une blogueuse.

Mais que reproche-t-on exactement à cette campagne ? L’auteur de cette exposition artistique, le photographe chinois Quentin Shih, est accusé de « racisme » et par ricochet la maison de couture Dior, organisatrice de l’événement.

Outre le fait que cette accusation apparaît insolite, Quentin Shih étant lui-même chinois, cette attaque est le reflet d’une analyse grossière de l’œuvre du photographe et révèle une lecture à l’aune de valeurs occidentales.

Comme il a eu l’occasion de l’évoquer sur son site personnel, Quentin Shih a tenté de représenter la cohésion et l’unité du peuple chinois des années 60 et 80. Il confesse par ailleurs que la réalité objective est moins glorieuse que sa représentation photographique. Comment dès lors expliquer ce hiatus d’interprétation ? Certes, Quentin Shih n’est pas le « propriétaire » du sens de son œuvre mais une analyse attentive des différentes photographies permettent aisément de réfuter ces accusations à l’emporte-pièce.

A la simple vue de ces photographies, quel élément permet de justifier une valorisation de l’occident et de l’individualisme ? Certes, le modèle est entièrement vêtu de Dior, et émerge de la masse, notamment par sa taille. Mais les traits sont-ils pour autant plus détendus, la posture plus épanouie ? Sans oublier que sur plusieurs photos les Chinois représentés souris et ne paraissent pas particulièrement brimés.

Le principal sujet de friction concerne les visages des modèles chinois. Identiques, ils seraient emblématiques d’un racisme occidental (tous les Chinois se ressemblent). Encore une critique hâtive : qui peut sérieusement penser que Quentin Shih voit ses compatriotes comme s’il se regardait dans un miroir ? Il est bien entendu conscient des spécificités de chacun de ses compatriotes. Ce qu’il met en avant à travers cette uniformité vestimentaire et physique, c’est l’aspect fusionnel du peuple chinois, un élément source de vitalité dans la culture de ce pays.

L’individualisme n’est pas considéré dans toutes les cultures comme une doctrine supérieure. Or porter un tel jugement sur l’œuvre, c’est postuler la supériorité de l’individualisme sur le modèle holiste. Au pire peut-on y voire une critique d’un modèle sociétal. Mais aucune considération « raciste » ne peut en toute légitimité être tirée de cette œuvre.

Si cette accusation a connu une telle fortune sur le Net, c’est que l’organisateur de cette campagne n’est autre que Dior, une société occidentale. Toutefois, Quentin Shih a bien précisé qu’aucun Directeur artistique de la maison de couture n’était intervenu dans son travail et qu’il avait eu « carte blanche ». Cet événement n’est pas une campagne publicitaire, mais une exposition artistique. A travers son centre privé d’art contemporain de Ullens à Pékin, Dior promeut les jeunes talents artistiques chinois depuis 2007. D’ailleurs Quentin Shih avait déjà collaboré à l’exposition collective (mais peut être que ce mot effraie désormais les internautes) « The Stranger in The Glass Box ».

Une polémique sans fondement comme il en surgit des centaines par jour sur le Net.

A ce sujet, je recommande d’ailleurs l’article de Géraldine Dormoy, critique d’Arts pour l’Express :

L’exposition Murakami ou quand la Japan expo s’invite à Versailles

Autre artiste et autre polémique, c’est cette année au tour de l’artiste japonais Takashi Murakami de s’inviter au château du roi Soleil et de provoquer le courroux des gardiens du temple versaillais.
Décidément, Versailles ne semble pas le lieu le plus accueillant pour l’art moderne tant les expositions qui s’y sont déroulées ces dernières années (celles de Jeff Koons et de Xavier Veilhan) ont suscité la polémique.

Que reproche-t-on cette fois-ci à l’artiste japonais, qui figure au pinacle des 5 artistes les plus chers du monde ?

Il suffit de lire quelques articles à ce sujet pour comprendre les motifs de l’indignation que soulève cette exposition : le manga investit Versailles. Une juxtaposition « contre-nature » entre une culture jugée « populaire » (et qui fait encore l’objet de dénigrements constants) et une culture « légitime », « académique ».

Pourtant, il suffit de lire l’interview de l’artiste parue il y’a quelques mois pour appréhender la cohérence de son projet artistique. On apprend ainsi (ce qui d‘ailleurs pourrait choquer les âmes culturelles les plus sensibles) que Murakami a découvert l’existence de Versailles, comme beaucoup de Japonais visiblement, à travers un manga, la Rose de Versailles, paru dans les années 1970 et plus connu en France sous le nom de Lady Oscar. Bref, un manga Shojo, sentimental et larmoyant, narrant l’amour impossible entre deux individus de classes différentes (et oui une noble ne se marrie pas avec un roturier du Tiers-Etat). On comprend ainsi que l’artiste a projeté de recréer l’image fantasmée de Versailles et de proposer un « Versailles vu du Soleil Levant ».

L’intention est louable et intéressante mais suffit-elle à convaincre les visiteurs ?
La problématique qui semble la plus importante, et qui a notamment été abordée par Sébastien Le Fol, critique d’arts pour Le Figaro, est celle de la cohabitation, de la rencontre entre deux univers. Les œuvres de Murakami se marient-elles habilement avec ce haut-lieu de la culture française, ou au contraire, la cohabitation est-elle celle d’un couple qui se boude ? Que penser de ce Versailles onirique ?

Il semble un peu excessif de considérer que les œuvres de Murakami n’apportent rien au lieu. L’exposition s’apparente à un « détournement » de symboles qui participe à sa désacralisation. La statue « Kakai et Kiki » met en scène un garde fantaisiste et improbable, dont la physionomie exubérante réjouit le visiteur. C’est là le point fort de cette exposition : un effet comique, une ironie qui égaye une visite et un parcours balisés. L’exposition est certes « sympathique » mais le rêve évanescent Murakami ne laissera sûrement que quelques sensations colorées dans la mémoire des visiteurs.